Depuis que la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques» dite « loi Macron » a été adoptée par l’Assemblée Nationale, (en application de l’article 49-3 de la Constitution, et sous réserve que le Conseil Constitutionnel saisi le 15 juillet la valide d’ici le 15 août), journalistes et experts travaillent au décryptage de ce texte fleuve (plus de 300 pages), qui amende nombre de codes.
Très impliquée dans la question de l’épargne et de l’actionnariat salariés, la CFE-CGC Orange s’est intéressée aux impacts de la loi en la matière. Si les allègements fiscaux qu’elle propose apparaissent, de prime abord, favorables à la croissance de ces éléments annexes de rétribution des personnels, et stimulants pour développer l’épargne salariale dans les PME, une analyse fine laisse planer le doute…
Forfait social : une baisse en trompe l’œil
Ces dernières années, ce qui a le plus pénalisé l’épargne salariale, c’est l’augmentation du forfait social appliqué à l’intéressement, la participation, et aux éventuels abondements versés par l’entreprise aux salariés plaçant des fonds dans un Plan d’épargne entreprise (PEE, PEG ou PEI) ou dans un Perco. Créé en 2009 par le gouvernement Fillon pour améliorer le financement de la sécurité sociale, le forfait social était initialement de 2%. Augmenté chaque année depuis sa création, il a fait un saut brutal de 8 à 20% entre janvier et août 2012. Même si ce sont les employeurs qui le règlent, ce sont les personnels qui en font les frais : les accords d’entreprise mentionnent toujours les montants bruts… et le net perçu par les salariés en matière d’intéressement, participation ou abondement de l’entreprise a de fait baissé de 20% par rapport à 2008.
Dès 2012, la CFE-CGC a demandé que le forfait social revienne à 8%, revendication qu’elle a continué de porter pendant la gestation de la loi Macron. Malheureusement, la nouvelle loi ne baisse le forfait social que dans deux cas très spécifiques :
– à 16% pour les sommes issues de l’intéressement, de la participation et des abondements de l’entreprise, uniquement si elles sont placées dans un Perco à gestion pilotée investi dans un fonds comprenant au moins 7% de titres éligibles au PEA-PME & ETI ;
– à 8% pendant 6 ans pour les sommes issues de l’intéressement et de la participation, pour les entreprises de – de 50 salariés qui mettent en place pour la première fois un dispositif d’intéressement ou de participation (ou qui n’ont pas signé d’accord depuis 5 ans).
Augmentation de la complexité au détriment des PME
Si l’objectif affiché de la loi est de favoriser la création de plans d’épargne salariale dans les PME, la mise en œuvre risque de s’avérer calamiteuse : les règles de l’épargne salariale se complexifient avec ce nouveau texte, ce qui empêchera évidemment leur appropriation dans les PME, tant du côté des dirigeants que des représentants du personnel, qui ont peu de temps et de ressources pour s’y plonger. Seule la simplicité des règles favorise l’égalité des chances économiques.
D’autant que les incitations fiscales s’accompagnent d’un recul social sur les règles d’appréciation du seuil de 50 salariés qui impose la mise en place d’un accord de participation (actuellement, il suffit que l’entreprise ait eu plus de 50 salariés pendant au moins 6 mois sur l’exercice ; à l’avenir, il faudra que le seuil des 50 ait été atteint ou dépassé pendant au moins 12 mois durant les 3 derniers exercices).
Par ailleurs, l’obligation de négocier des accords de branche sur l’intéressement et la participation, a priori vertueuse en termes d’incitation pour les PME, comporte cependant un biais. En effet, des entreprises de toutes tailles, et particulièrement les grosses, participent à la négociation des conventions collectives. Les grandes entreprises pourraient être tentées d’y introduire des obligations coûteuses, en temps et en argent, pour les PME, ajoutant de nouveaux obstacles au développement d’éventuels concurrents au sein de leur secteur d’activité.
Tout en faveur du Perco : vers la liquidation de la retraite par répartition ?
Dans les entreprises qui possèdent déjà un accord d’intéressement ou de participation, seuls les versements dans le Perco bénéficieront de l’allègement fiscal… et encore, dans des conditions tellement spécifiques que leur explicitation aux personnels concernés relèvera de la haute voltige !
Ce fléchage renforcé vers le Perco (rappelons que le gouvernement Sarkozy avait, en 2011, instauré le versement par défaut de 50% du montant légal de la participation dans le Perco) nous préoccupe à plusieurs titres.
D’abord, il favorise les salariés les plus riches, qui ont les moyens de bloquer les sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation jusqu’à la retraite, au détriment des plus modestes, dont la situation économique aggravée par le contexte global et le gel des rétributions leur impose souvent de demander le versement immédiat en numéraire pour boucler leurs fins de mois. Ceux-là voient leur intéressement et leur participation immédiatement imposés au titre de l’impôt sur le revenu, et ne bénéficient pas des abondements de l’entreprise… sauf si les entreprises se saisissent vraiment de la possibilité nouvelle d’abonder régulièrement le Perco même en l’absence de versement des salariés. Il faudra donc que les représentants du personnel se battent sur ce point.
On peut aussi s’interroger sur la volonté « d’habituer » progressivement les salariés au basculement progressif de la retraite par répartition, dispositif solidaire, vers la retraite par capitalisation, plus aléatoire et surtout inégalitaire, puisqu’il favorise ceux qui ont les moyens d’épargner. Les établissements financiers doivent quant à eux se frotter les mains : ils bénéficient non seulement de la collecte des fonds, mais également des frais de gestion associés, certes payés par les entreprises… mais qui, ne nous leurrons pas, sont bien présents dans l’esprit des employeurs lorsqu’il s’agit de négocier les rémunérations de leurs personnels.
Enfin, favoriser fiscalement le Perco apparaît en partie contradictoire avec la volonté de développer l’épargne salariale dans les PME : le Perco vient en dernier dans les obligations légales des entreprises au titre de l’épargne salariale. De fait, il n’est significativement présent que dans les grandes entreprises, comme le montrent les statistiques de la Dares.
La montagne a accouché d’une souris
Au final, seuls 20% des salariés, toutes entreprises confondues, seront susceptibles de bénéficier du forfait social à 16%. Et le levier fiscal ainsi créé ne suffira vraisemblablement pas à développer significativement le Perco, ni le niveau des abondements versés par l’employeur : même dans les grandes entreprises, il risque de faire l’effet d’une goutte d’eau !
Chez Orange, certes moins généreuse que la moyenne dans ce domaine, l’abondement maximal pour versement dans le Perco est actuellement de 500 euros par an et par salarié, au même niveau que l’abondement pour versement dans le PEG. Sous réserve que tout l’abondement Perco soit affecté dans une formule à gestion pilotée investie dans un fonds comprenant au moins 7% de titres éligibles au PEA-PME & ETI, le gain fiscal sera de … 20 euros par salarié et par an.
Par ailleurs, le découplage entre la fiscalité du PEE/PEG et du Perco rend plus aléatoire l’acceptation par l’employeur d’une formule d’abondement mieux pensée, comme le revendique la CFE-CGC Orange. Nous défendons en effet le principe d’un montant global d’abondement dont les personnels pourraient bénéficier quelle que soit la source des fonds et leur destination. Une telle formule, plus simple, plus équitable, et laissant à chaque salarié le choix de ses placements, dans le PEE/PEG ou le Perco, devient beaucoup plus complexe à mettre en œuvre si chaque réceptacle de placement a une fiscalité propre.
On ne donne qu’aux riches !
La distribution d’actions gratuites est nettement favorisée, par un assouplissement des règles d’attribution et de conservation, et une fiscalité plus avantageuse.
L’imposition sur le revenu interviendra désormais sur les plus-values de cession et non plus d’acquisition, avec un abattement conséquent selon la durée de conservation (50% pour les actions détenues entre 2 et 8 ans, 65% au-delà de 8 ans).
Les contributions sociales sont supprimées pour les salariés (sauf pour les stock-options) et ramenées de 30 à 20% pour les employeurs. Surtout ces derniers ne les paieront qu’au moment de l’acquisition effective des actions par les bénéficiaires. Jusqu’à présent, elles étaient exigibles dès le lancement de l’opération… et restait dues même si au final les actions n’étaient pas distribuées. Chez Orange, le plan « Partageons », élaboré en juin 2011, prévoyait ainsi la distribution de 133 actions gratuites à chaque collaborateur en juillet 2015, à condition que le cash-flow opérationnel cumulé atteigne 27 milliards d’euros entre 2011 et 2013.
Malheureusement, l’objectif n’a jamais été atteint, et la distribution gratuite n’a donc pas eu lieu. Mais l’opération a généré le paiement à l’État d’une contribution fiscale de plus de 20 millions d’euros qui ne sera jamais restituée. Les nouvelles modalités de taxation constituent donc sur ce point un retour à la raison.
La CFE-CGC, attachée à l’actionnariat salarié, salue bien sûr l’effort fait pour stimuler l’attribution gratuite d’actions aux personnels des entreprises. Il n’en demeure pas moins que ces mesures ne permettent de dégager aucun pouvoir d’achat supplémentaire immédiat pour les plus bas salaires, et privilégient au contraire ceux qui ont les moyens d’épargner à long terme, l’abattement fiscal augmentant avec la durée de détention des actions. Non seulement on ne prête, mais on ne donne, qu’aux riches… Tout cela ne nous semble pas aller dans le sens de « l’égalité des chances économiques » annoncée dans le titre de la loi…
Source : Dares analyses – N° 55 – juillet 2015 – http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2015-055-2.pdf